Chat Noir, Le
Le Chat noir (Il Gatto nero / The Black cat), Lucio Fulci (1981)
Coincé dans la filmographie de Fulci entre les oeuvres importantes que sont Frayeurs et L'Au-delà, Le Chat noir peut passer au premier abord pour un film mineur, alimentaire ; pourtant, s'il ne peut décemment pas prétendre se hisser au niveau des deux films sus-cités, cette très libre (c'est le moins que l'on puisse dire) adaptation de Poe, constitue une pierre remarquable ajoutée à une oeuvre fulcienne décidément très cohérente.
Des accidents suspects se produisent dans une petite ville anglaise. Leur fréquence pousse les autorités locales à faire appel à un inspecteur de Scotland Yard (David Warbeck, qui retrouvera Fulci pour L'Au-delà) pour résoudre le mystère ; celui-ci croise sur sa route une jeune photographe américaine (Mimsy Farmer, présente dans Quatre mouches de velours gris d'Argento et dans l'excellent Frissons d'horreur d'Armando Crispino), persuadée que ces accidents sont liés à la relation étrange entre un médium cloîtré chez lui et un inquiétant chat noir. Il reste donc peu de choses de la nouvelle d'Edgar Poe, si ce n'est le final archi-connu – et orchestré ici de main de maître par le cinéaste, qui prouve son aptitude à élaborer une tension palpable en un mouvement de caméra.
Si Le Chat noir renvoie donc très peu à la trame imaginée par Poe, il parvient néanmoins à en saisir l'essence, à savoir l'incarnation d'un malaise en un être à priori anodin (ici, le fameux chat), qui se révèle être la projection des pulsions du médium. Les plus belles séquences se révèlent d'ailleurs être celles mettant en scène les deux êtres face-à-face : au cours de l'une d'elles, le médium déclare : "nous avons besoin l'un de l'autre (...) nous sommes liés l'un à l'autre par la haine". Lien qui perdure jusqu'à la perte totale des repères du reclus, pris à revers par ses fantasmes de meurtres, qui, en fin de compte, le soumettent à leur tour à leur joug. Thématiquement intéressant, le film renvoie en outre à d'autres obsessions plus typiques de Fulci, telles que la prépondérance du regard dans la transmission des fluides vitaux ou létaux (le chat semble hypnotiser ses victimes par un simple regard – ainsi que le médium, et l'une des victimes, empalée suite à une chute provoquée par la bête, se retrouve énucléée), la corruption des corps et une vision de la sexualité pour le moins désabusée (le couple fornicateur, emprisonné dans une pièce étanche, étouffe, main dans la main, l'écume aux lèvres, et est retrouvé par la police en plein processus de décomposition). Riche et habile – bien que parfois un peu trop démonstratif (en témoignent les nombreux zooms ou gros plans sur les regards des différents protagonistes), Le Chat noir est une pièce importante dans la filmographie de Fulci, d'autant plus que la réussite est également formelle.
En effet, l'esthétique globale du film rappelle fortement celle de L'Emmurée vivante, qui, en termes de photographie, constitue un sommet dans la carrière du Maestro. Rien d'étonnant à cela, puisque, outre une scène finale déjà évoquée plus haut, qui fait largement référence à L'Emmurée, c'est à nouveau Sergio Salvati, un des membres de la ''dream team'' de Fulci, qui s'occupe de soigner les images et les éclairages du film, chose qu'il fait fort bien, notamment dans les scènes d'extérieur nocturnes, qui rappellent par leur nature embrumée et vaguement menaçante, celles de Frayeurs... Tout juste peut-on reprocher au film un montage parfois peu judicieux (l'accident de voiture du début est un exemple de mollesse assez frappant), un rythme pas toujours bien maîtrisé, la faute à un scénario un peu hésitant, une musique inégale de Pino Donaggio (mais où était Fabio Frizzi à ce moment-là ?) et des acteurs laissés à l'abandon (Al Cliver fait un peu peine à voir).
Des défauts somme toute classiques chez Fulci, qui n'empêchent en rien Le Chat noir de figurer dignement entre Frayeurs et L'Au-delà, sans pour autant en atteindre la puissance, et de se poser tranquillement comme un prolongement plus que digne d'intérêt des thématiques habituelles de celui que l'on nomma un temps le ''poète du macabre''.
-
disponible en dvd zone 2 français