Django
Django, Sergio Corbucci (1966)
En 1964, l'Italie et le petit monde du cinéma sont sous le choc ; le succès imprévisible du Pour une poignée de dollars de Sergio Leone impose son style, en même temps qu'il fait du western LE genre rentable pour les studios. Beaucoup persistent encore aujourd'hui à utiliser au sujet de Leone l'adage éculé ''souvent imité, jamais égalé''. Pourtant, Django, outre son statut de réussite incontestable, démontre par A + B que, si Leone amorça et accompagna de fort belle manière le mouvement, le genre a constamment su se renouveler et s'éloigner ainsi toujours plus du style de son géniteur.
A première vue, Django se contente de reprendre grossièrement la trame de Pour une poignée de dollars : un mystérieux pistolero apparaît dans une ville en proie à deux camps (ici les révolutionnaires mexicains et les soldats américains) et sème la zizanie. Même Franco Nero semble avoir été choisi pour sa vague ressemblance avec Clint Eastwood. Cependant, en y regardant de plus près, on s'aperçoit vite que Django ne prend appui sur Leone que pour en bondir plus loin.
En effet, dès les premières images, Corbucci insuffle à son personnage une aura mystérieuse qui confine quasiment au fantastique : Django, à pied (fait marquant, il n'est pas à cheval) traîne derrière lui un cercueil, visiblement rempli. De quoi ? On ne le saura qu'en temps voulu. Après avoir sauvé une demoiselle des griffes des deux camps ennemis, il pénètre dans une ville déserte et boueuse. Dans le sillon qu'il creuse avec son cercueil, Django semble amener avec lui la mort. Ses motivations inconnues, son attitude expéditive et son habileté au colt, trois leitmotivs du western spaghetti ne font qu'appuyer le traitement presque surnaturel du personnage, là où ces trois éléments constituent habituellement la base même de la caractérisation du héros. Le personnage est donc bien plus qu'un alter-ego de L'Homme sans nom.
D'un point de vue thématique, Corbucci cherche avant tout à montrer l'ambivalence de son personnage, qui, comme le Clint Eastwood de Pour une poignée de dollars, manipule tout le monde à son profit. Alliant la ruse à l'habileté dans un cocktail parfois mordant (la scène où Django distrait les sentinelles en ''postant'' une prostituée se dénudant à la fenêtre de sa chambre d'hôtel, en profitant ainsi pour s'esquiver en toute quiétude), Django passe du statut de mystère ambulant à celui de mythe vivant; lors d'une scène marquante où il se voit privé d'un de ses atouts majeurs : ses mains, que les victimes de sa trahison fracassent à la crosse de leurs fusils. Symboliquement castré, Django devient alors une figure à la fois pathétique et grandiose, qui surpassera son lourd handicap lors d'un final mémorable. Corbucci s'éloigne donc sensiblement de Leone avec cette thématique de la castration, déjà présente dans de nombreux mythes, qui deviendra récurrente dans le western italien.
On soulignera enfin la facture technique irréprochable de l'ensemble, qui synthétise le meilleur du style spaghetti (cadrages originaux, maîtrise de la notion d'attente, du silence, sens lyrique indéniable...) et la prestation anthologique de Franco Nero, qui deviendra grâce à ce rôle une icône incontournable du western, tout en regrettant un scénario archétypal qui, certes, ne sert qu'à valoriser le propos et les différentes thématiques du métrage, mais qui aurait peut-être gagné à être plus étoffé.
Film visionnaire et tributaire à la fois, Django reste et restera à jamais un jalon essentiel du western spaghetti, en prouvant qu'on pouvait s'appuyer sur Leone sans le singer, et s'en éloigner sans l'outrager. Ouvrant une nouvelle voie au genre (la pléthore de pseudo-suites en témoigne), Django peut en outre être considéré comme un brouillon diablement maîtrisé de ce que sera la suite de la carrière de Corbucci...
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Disponible en DVD zone 2 français