Fille qui en savait trop, La
La Fille qui en savait trop (La Ragazza che sapeva troppo / Evil Eye), Mario Bava (1962)
Traditionnellement considéré comme le premier giallo de l'histoire du cinéma, La Fille qui en savait trop sort en 1963, soit trois ans après le premier coup d'éclat de son réalisateur, Mario Bava, Le Masque du démon, qui, dans un genre tout différent, préfigurait déjà la démarche de son auteur. En effet, si dans Le Masque du démon, Bava, tout en respectant les codes du film d'épouvante traditionnel, injectait parallèlement une dose de sadisme toute italienne et approfondissait l'étroite relation Eros / Thanatos typique du film d'horreur, dans La Fille qui en savait trop, il en est de même avec le film policier.
Le film met en scène Nora Davis, une jeune américaine en visite à Rome, qui, outre le décès de la vieille femme dont elle avait la garde, va se voir confrontée à la vision d'un meurtre. A-t-elle réellement été témoin de cet événement, ou, comme semble le lui faire comprendre son entourage, l'a-t-elle imaginé ? Toujours est-il que Nora se sent de plus en plus oppressée... Avec l'aide du docteur Bassi, jeune médecin incarné par John Saxon (un de ces grands voyageurs du cinéma), elle va tenter de découvrir ce qu'il en est.
Comme pour baliser le chemin du spectateur de l'époque, le film multiplie les références évidentes. A Hitchcock bien sûr, maître incontesté du thriller, ne serait-ce que par son titre qui reprend à peu de choses près celui de L'Homme qui en savait trop (1956). Puis à tout un pan de la littérature policière bien connue du public : la méthode du tueur, qui procède par ordre alphabétique pour choisir ses victimes rappelle fortement la trame du ABC contre Poirot d'Agatha Christie (1935), laquelle est elle-même une des lectures favorites de l'héroïne, avide de romans policiers... Fortement référentiel, La Fille qui en savait trop ne perd pas cependant de vue le développement limpide d'une intrigue prenante et riche en rebondissements.
Mario Bava appose toutefois sa patte à cet ensemble de balises. Ainsi, l'agonie et la mort de la vieille femme fait partie des morceaux traditionnels du cinéma de Mario Bava, qui préfigure ici le sketch ''La Goutte d'eau'' de son film suivant, Les Trois visages de la peur, à la différence que Bava exploite dans ce dernier la couleur et toutes ses possibilités, alors qu'il se ''contente'' ici de jouer avec le noir et blanc. Même éclairage cru sur le visage de la moribonde, même fixité gênante de l'expression faciale, même position sur le lit... Et le détail pervers : alors que Nora pleure la morte, voilà que cette dernière se met à osciller dans un grincement de sommier. Horrifiée, la jeune femme se rend bientôt compte qu'il ne s'agit que du chat de la maison qui remue le lit. Cet épisode détonne un peu avec le reste du film, qui, même dans les séquences de meurtres, reste très sobre, bien que parfaitement maîtrisé. Il s'agit en tout cas d'une des manifestations de la touche de l'auteur qui émaillent le film.
Touche que l'on reconnaît par ailleurs dans une autre ''référence'' à son futur Les Trois visages de la peur, et cette fois-ci au sketch ''Le Téléphone'', qui empruntera à La Fille qui en savait trop la tension et la peur délivrées à l'héroïne dans un huis-clos par des appels téléphoniques répétés et inquiétants. Les décors de des deux histoires se ressemblent en outre fortement, à tel point que je ne serai pas surpris d'apprendre qu'ils ne font qu'un...
De ce film très intéressant et de très bonne facture, on regrettera cependant quelques touches d'humour pas toujours finaudes, et très peu en accord avec le ton du film (l'épisode des cigarettes à la marijuana, les balourdises de John Saxon). Pas étonnant d'ailleurs, puisque le film connut deux montages : un premier, qui laissait plus la place à cet aspect plus léger de l'intrigue, et un autre, celui que l'on trouve dans le DVD français, qui témoigne plus de la vision de Bava...
La Fille qui en savait trop constitue donc un carrefour entre les influences américaines prégnantes de Mario Bava, et l'affirmation de la personnalité non seulement de Bava, mais également d'un genre, le giallo, qui commence ici son affranchissement du thriller / policier traditionnel. Premier jalon d'un chemin qui mena vers l'extrémité gore de La Baie sanglante, ce film est de plus un très bon divertissement, porté par la maestria d'un Mario Bava qui exploitait pour la dernière fois le noir et blanc.
-
Disponible en DVD zone 2 français