Frayeurs
Frayeurs (Paura nella città dei morti viventi / City of the living dead), Lucio Fulci (1980)
Frayeurs. S'attaquer à un tel film n'est
pas chose évidente. Car il s'agit bien d'une oeuvre brassant
des thématiques diverses, bien plus profond que ce que la
réductrice réputation d'artisan gore de Fulci ne
laisserait supposer de prime abord. Frayeurs est en outre la
réunion d'une équipe de personnes qui sur un
film, va se transcender pour livrer ce qui reste à mon avis le
film définitif de Fulci. Qu'il s'agisse de la musique de
Frizzi, sépulcrale à souhait, du scénario de
Sacchetti, qui s'allie à merveille aux obsessions de Fulci, ou
de la réalisation de ce dernier, pleine de talent et exempte
des tics qui lui sont récurrents, en passant par la
photographie de Salvati ou les maquillages / effets spéciaux
de Gino de Rossi, tout touche à la perfection.
Un
film sous influence
On cite souvent Fulci pour ses excès
gores, et les nombreuses atrocités en latex qui parcourent ses
films. C'est oublier que si ces films sont si singuliers, c'est avant
tout parce qu'ils baignent dans une ambiance particulière, à
la frontière de l'horreur pure et de l'onirisme surréaliste
– tout du moins dans les quatre films qui ont fait sa renommée.
Frayeurs fait partie de cette veine cauchemardesque de Fulci,
veine qui puise dans une oeuvre réputée inadaptable,
celle de Howard Philips Lovecraft. Le film ne s'en cache pas, et
annonce d'emblée son influence: la première scène
et la majeure partie du film se dérouleront à Dunwich,
ville témoin d'abominations perpétrées par de
créatures issues de l'imagination de l'écrivain
américain. On le sent donc dès l'ouverture, Frayeurs
sera lovecraftien ou ne sera pas. Et à la vision du film, il
faut se rendre à l'évidence, Fulci et Sacchetti ont
capté l'essence de l'oeuvre de Lovecraft, et, tour de force
jamais égalé par la suite – si ce n'est par Stuart
Gordon et son très bon Dagon – ont réussi à
la retranscrire à l'écran. Foin d'hommes-poissons ou de
triangles à quatre côtés, la filiation
lovecraftienne de Frayeurs est visible avant tout à
l'ambiance qui règne à Dunwich, ville constamment
balayée par des vents chargés de poussière, avec
son cimetière antique et peu engageant, peuplé de
tombes branlantes et hanté par les ombres d'arbres séculaires,
régi par une nuit que l'on croirait sans fin, mais qui laisse
parfois place à un jour gris et déprimant, ses zones
d'ombre susceptibles d'abriter d'indicibles mystères, son bar
miteux et dépeuplé, son entreprise de pompes funèbres
empli d'une présence bien plus terrible que celle du
croque-mort voleur de bijoux appartenant à ses ''clients''...

Construite sur les ruines de Salem, la ville de Dunwich est à elle seule un monstre terrible dont la nature maléfique va exploser lorsqu'une des portes de l'Enfer s'ouvrira lors du suicide du prêtre local. Tout cela rendu plus oppressant encore par la musique de Frizzi, qui compose une fois de plus une musique impeccable, moins baroque que celui de L'au-delà, mais tout aussi apte à ''illustrer'' les images superbes de Fulci, qui prouve tout son talent de faiseur de plans définitifs.
Le scénario rend lui aussi
compte de l'influence principale du film, avec sa description de la
contamination d'un monde par un autre (ici l'Enfer débarque
sur Terre), et de la réaction des envahis face à
l'inexplicable, thème qu'affectionne Lovecraft (cf. La
couleur tombée du ciel).
Frayeurs se pose donc
comme une adaptation de bonne facture, plausible et crédible,
de l'univers de l'écrivain de Providence. Mais tout son
intérêt ne réside pas seulement en cela - loin de
là!
"Comment créer une ambiance", par Lucio Fulci
La somme de toutes les peurs
On peut féliciter les distributeurs français
d'avoir choisi ''Frayeurs'' comme titre d'exploitation du
film. En effet, le film constitue une brillante réflexion sur
la peur, les réactions diverses qu'elle engendre et ses
conséquences sur la vie d'une communauté. Frayeurs
se propose d'abord d'exploiter à peu près toutes
les formes de peur envisageables: claustrophobie et peur de la mort
(la scène anthologique où Catriona McColl – divine –
se retrouve enterrée vivante et tente en vain de s'échapper
de son cercueil), peur du noir, peur des fantômes (la scène
qui se déroule chez Sandra reprend tous les codes du film de
maison hantée), peur des animaux (le chat, le rat), dégoût
des insectes (les asticots qui envahissent la pièce où
se trouvent les protagonistes)... Comme si le film, en brassant
toutes ces différentes phobies, voulait s'assurer de faire se
hérisser les cheveux de chaque spectateur au moins une fois.
La scène de la voiture
assiégée par le fantôme du prêtre, est une
des scènes que l'on considère de manière
générale comme gratuite et présente uniquement
pour son effet pour le moins vomitif (la fille se met à vomir
tous les organes de son corps sous le regard horrifié de son
petit ami, interprété par Michele Soavi, réalisateur
de Dellamorte Dellamore...). Pourtant, thématiquement,
elle n'est rien moins que la scène-clé du film.
En effet, il convient de se
rappeler que l'importance des yeux et du regard est une des
composantes principales de l'oeuvre de Fulci. Importance qui sera
d'ailleurs fixée sur la pellicule à tout jamais par le
biais d'une image hautement évocatrice (cf. capture plus bas).
Mais revenons-en à la scène de la voiture, laquelle
voit apparaître au jeune couple d'adolescents le fantôme
du prêtre suicidé, qui fixera son regard dans les yeux
de l'infortunée jeune fille. Celle-ci, avant de gerber ses
tripes, permet au spectateur d'apprécier une des images les
plus fortes de l'histoire du cinéma (si, si): elle se met tout
simplement à pleurer du sang, comme si la vision de
l'indicible, de l'horrible dans sa plus pure forme était
impossible à supporter pour l'esprit humain (concept
lovecraftien en diable une fois encore).
Tout le cinéma de Lucio Fulci résumé en
une image. Respect.
Réaction purement humaine,
donc, devant l'inconnu, l'effrayant, devant, en fait, la Mort.
Catriona McColl se verra elle aussi en proie à ce phénomène
à la fin du film, mais heureusement pour elle, Gerry aura la
présence d'esprit de détruire le fantôme/mort-vivant
du prêtre avant l'accomplissement du travail de la folie sur
l'esprit de son amie.
Dans une tendance moins graphique, les
habitants de Dunwich se bornent à rejeter la théorie
surnaturelle et persistent à croire à une explication
rationnelle devant les phénomènes dérangeants
qui parcourent le métrage, preuve de l'impossibilité
pour l'esprit humain d'accepter l'existence de mondes ''surimprimés''
au sien, et perceptibles seulement par de rares mais troublants
indices (Lovecraft, encore et toujours...).
Enfin, autre apport à la
thématique de la peur, celui du personnage de Bob, personnage
au passé incertain, vivant dans une maison à l'abandon,
survivant on ne sait comment, jeune encore, apparemment simple
d'esprit... Il est tout désigné pour être le
bouc-émissaire d'un communauté en proie à la
disparition de ses enfants, non seulement par les réflexions
et les condamnations des habitants, mais également par la
réalisation de Fulci, qui s'attache à plusieurs
reprises à le montrer comme enfermé dans un cadre dont
il est impossible de s'extirper (les préjugés, en
somme; cf. captures plus bas). Sa mort atroce, le crâne troué
de part en part par une perceuse - autre scène présumée
''gratuite'', est la seule provoquée dans le film par un être
humain, preuve du statut de victime expiatoire de Bob. Personnage que
l'on retrouvait trait pour trait dans La longue nuit de l'exorcisme, incarné
par Florinda Bolkan, et qui y subissait un sort tout aussi peu
enviable.
Bob, bouc émissaire prédestiné
L'enfance, dernier bastion
de l'innocence
Vaste oeuvre que Frayeurs, qui
exploite encore une autre thématique qu'affectionne Fulci:
l'enfance. Pratiquement chaque film de Fulci met en scène un
personnage enfant, au rôle souvent peu défini, mais à
l'importance avérée. Il n'y a qu'à se remémorer,
une fois encore, La longue nuit de l'exorcisme, giallo rural
mettant en scène un meurtrier d'enfants, ou encore La
maison près du cimetière et La malédiction
du pharaon, tous deux avec cette tronche de cake de Giovanni
Frezza, rejeton blondinet et illégitime d'une union improbable
entre les deux frères Bogdanoff.
Ici, c'est le personnage
de John John (oui oui comme le fils Kennedy) qui représente
l'enfance. Enfance qui, contrairement aux adultes sceptiques et
bornés, admet pleinement les manifestations surnaturelles:
jamais John John ne se posera la question de savoir comment sa soeur
est revenue d'entre les morts. Emily est décédée,
et c'est maintenant un fantôme, rien de plus simple à
admettre pour le symbole de l'innocence destiné à être
perverti qu'est l'enfant chez Fulci.
A ce titre, la toute dernière
scène, aussi énigmatique que celle qui clôt La
maison près du cimetière, se prête
complètement à une interprétation de l'innocence
qui, fatalement, se voit pervertie au contact des adultes et de leur
monde violent et cynique: la photo altérée, avec un
grain ultra-épais qui plonge la scène dans une
véritable purée de pois – alors que la menace est à
priori repoussée!, et la dégradation progressive du
plan final semble se prêter à cette analyse ô
combien hasardeuse.
Enfin, pour donner du poids à cette
importance de l'enfance pervertie, il convient de rappeler que
Sacchatti est aussi le scénariste de La baie sanglante.
Ceux qui se souviennent de son final ahurissant comprendront mieux de
quoi il en retourne exactement...
Corruption de l'enfance...
En résumé, que dire
d'autre, sinon que Frayeurs, s'il peut aisément se
regarder comme un film d'horreur éprouvant et extrêmement
gore, ce qu'il est assurément, représente la
quintessence d'une oeuvre fulcienne résolument réfléchie
et qui mériterait d'être un peu plus souvent estimée
à sa juste valeur.
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Disponible en DVD zone 2 français