Keoma

Keoma, Enzo G. Castellari (1976)


De l'aveu même d'Enzo G. Castellari, Keoma est son meilleur western, celui de ses films qu'il préfère. Au vu de ce chef d'oeuvre (autant le dire tout de suite, ce sera fait), on ne saurait qu'être en accord avec le réalisateur.


Keoma est un métis, enfant d'une liaison entre une indienne et Shannon, l'un des meilleurs tireurs de l'Ouest, et par ailleurs homme bon et juste. Toutefois, de par sa différence ethnique, ses beaux-frères, les légitimes rejetons blancs du père, lui rendent la vie dure et l'assaillent de brimades et d'insultes. Devenu adulte, Keoma revient de la guerre civile pour constater que ses trois frères font partie d'une bande menée par Caldwell, qui mène la ville à sa fantaisie et la maintient sous la terreur de la Peste, en refusant l'apport de médicaments. Décidé à réparer les injustices, Keoma va en outre devoir protéger une supposée pestiférée, et qui plus est enceinte, dont il s'est épris.


Passons rapidement sur les quelques points négatifs du film : la tendance récurrente de Castellari a utiliser le ralenti dès qu'un homme tombe à terre prête parfois malheureusement à sourire, ce qui détonne avec le ton général du film, qui se veut plutôt solennel et presque intimiste. En outre, la chanson qui revient à chaque événement-clé en adaptant les paroles à la situation peut irriter, surtout par sa redondance et par la voix parfois peu en accord - là aussi - avec le ton de ce western.




Cela étant dit, place à la dithyrambe. D'un point de vue purement formel, Keoma est une grande réussite. Le film est parsemé de morceaux d'anthologie (la fusillade mettant Keoma, son père et George, le serviteur noir, compagnon de rejet de Keoma, aux prises avec la bande de Caldwell est une tuerie au sens propre comme figuré), d'idées de mise en scène amusantes et de scènes à la beauté plastique renversante (Keoma attaché christiquement sous la pluie battante et les éclairs ''embleuissant'' le cadre). Castellari sait y faire et livre une partition qui mêle violence et images évocatrices avec brio. Outre ces indéniables qualités esthétiques, il convient de souligner la performance de Franco Nero, camouflé sous une épaisse barbe et dont chaque apparition est tantôt glaçante, tantôt rassurante. Nero est Keoma, et après la vision du film, on ne saurait voir d'autre acteur endosser le rôle ; personnage que l'acteur au regard céleste reprendra bien plus tard dans une variation signée une nouvelle fois Castellari, Jonathan of the Bears, en 1993. A noter également la présence d'Olga Karlatos, célèbre pour s'être fait crever l'oeil par une écharde – bien aidée par un zombie assez sadique il est vrai – dans L'Enfer des Zombies.




Mais Keoma n'est pas qu'un western bien ficelé et superbement mis en images. Keoma est un pamphlet. Pamphlet pour la vie : le métis a beau tuer du voyou a tour de bras, il fait néanmoins tout pour préserver Lisa, enceinte et donc porteuse de l'innocence. Qu'elle soit ou non contaminée par la Peste lui importe peu : il s'agit de laisser à travers elle une chance à la pureté hypothétique dont elle est la gardienne. Pamphlet pour la liberté : l'enfant naîtra, certes, mais sans sa mère, morte en couches, sans son père, et sans même celui qui lui permit de naître (Keoma refuse de s'occuper de l'enfant et en laisse le soin à celle qui jadis le sauva du massacre du peuple indien, comme une boucle qui conduira le nouveau-né à perpétuer la légende de Keoma). Pamphlet pour la tolérance : Keoma et George, les deux parias, le métis et le nègre, sont plus dévoués entre eux que tous les membres de la bande adverse réunis. La mort de George, héroïque, consommée dans des cris de bête titanesque et bouleversée de devoir abandonner son compagnon d'infortune, est un passage indigne de l'oubli.




Malgré tout, le film est loin de se poser en manifeste manichéen : si le personnage de Keoma se pose en héros, défenseur de la vie, il n'empêche que sa manière de préserver l'innocence à coups de fusil à canon scié ou de couteaux de jet est plutôt surprenante. Keoma n'a que faire de la morale et de la justice des hommes. Si la vie dans la plus primitive de ses formes doit passer par la mort de ses branches les plus pourries, qu'il en soit ainsi. Keoma se montre ainsi ouvrier du cycle éternel de la nature, qui consiste en un perpétuel renouvellement des forces vives. La dernière séquence, surprenante, voit la fusillade finale entre Keoma et ses frères se dérouler sous les cris de douleur de Lisa, en train d'accoucher. Les coups de fusil remplacés par l'expression de la douleur de l'enfantement, le triple fratricide couvert par l'acte de donner la vie... Quoi de plus évocateur, de plus ambigu ? Peut-être la crucifixion symbolique de Keoma, personnage qui n'a de christique que l'apparence, tant la violence qui guide chacun de ses actes est prégnante. Christ corrompu par la poudre et la violence, Keoma devient une figure mythique.




Riche et parfaitement maîtrisé, Keoma est un film atypique, réalisé alors que le western italien avait déjà rendu l'âme. Plus proche dans sa démarche des 4 de l'apocalypse de Fulci que des films de Sergio Leone (par exemple), le western fétiche de Castellari est une oeuvre éternelle, qui ne cessera de poser ses questions tout en affectant de ne pas y répondre. M. Enzo, respect éternel.

''A free man never dies''

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Disponible en DVD zone 2 français



01/01/2008
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