Phenomena

Phenomena, Dario Argento (1985)




Pour beaucoup de personnes, Phenomena est le début de la fin dans la filmographie de Dario Argento. Pour beaucoup, ce film ne tient pas la route une seule seconde face aux chefs d'oeuvre que sont Suspiria, Les Frissons de l'angoisse ou encore Ténèbres. Pourtant, je maintiens qu'au contraire, Phenomena est un film touché par la grâce. Rien que ça. C'est parti pour une petite dissection de la bête.



Champêtrement votre


Ce qui frappe d'emblée l'habitué des films d' Argento, c'est le cadre du film. La première scène se déroule en effet dans la campagne suisse, tranchant ainsi avec le cadre urbain qu'affectionne particulièrement le réalisateur dans ses gialli (L'Oiseau au plumage de cristal se déroule à Rome, Le Sang des innocents à Turin, etc...). La suite du film rappelle en revanche fortement Suspiria, auquel il emprunte le motif de la jeune fille arrivant dans un pensionnat lugubre (ici, Jennifer Connelly, dans un de ses premiers rôles, remplace Jessica Harper, l'égérie du Phantom of the Paradise de Brian De Palma).




Le changement de décor est néanmoins total, car le pensionnat en lui-même n'est pas la pierre angulaire du récit comme il pouvait l'être dans Suspiria. Phenomena se concentre en effet sur l'histoire de Jennifer Corvino, jeune américaine qui débarque donc en Suisse pour suivre des cours dans la prestigieuse institution Wagner, près de laquelle des meurtres horribles ont eu lieu. Rien ne distingue la jeune fille de ses camarades, si ce n'est qu'elle possède le don de communiquer avec les insectes...




Si l'aspect giallo du film est indéniable (tueur aux gants noirs et à l'identité incertaine, motifs psychanalytiques, etc...), nous sommes en revanche plus proches du film fantastique que du ''simple'' thriller à l'italienne, car le don de Jennifer va permettre à l'intrigue de se dérouler et de la rapprocher dangereusement du tueur. Un aspect fantastique qui donne à Phenomena ses plus belles scènes, lorsque, par exemple, les insectes viennent par nuées au secours de Jennifer, ou que celle-ci, en proie à des crises de somnambulisme, entre en communion avec une luciole, qui la guide vers un indice des plus déterminants... Impossible d'imaginer ce récit transposé dans une grande métropole urbaine. Le cadre du film lui donne donc une ambiance tout à fait singulière qui est en plus renforcée par une musique de Claudio Simonetti (membre des Goblins qui opère ici avec son compère Fabio ) absolument superbe.




La musique, parlons-en : on a souvent reproché au film de coincer le thème ''Phenomena'' de Simonetti entre deux tubes de bon vieux heavy-metal de Iron Maiden ou Motorhead. Pourtant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit vite que la collision de ces deux univers musicaux - d'ailleurs loin d'être étrangers l'un à l'autre - ne fait que renforcer l'ambiance onirique dans laquelle baigne tout le film. Onirisme musclé, certes, mais qui colle parfaitement avec les scènes de meurtres sauvages qui émaillent le film ; car Argento ne réfrène pas ses accès de violence et livre des morceaux bien gratinés, et comme toujours superbement mis en images.



Animalité


Une violence sauvage, donc, dans un film qui ne l'est pas moins. Car malgré l'envoûtement que procure Phenomena de par sa facture esthétique irréprochable, sa bande-son singulière et certaines scènes qui confinent simplement au sublime, il n'en reste pas moins que le propos du film reste la violence. Violence des meurtres bien sûr, brutaux et sadiques, mais également violence des rapports humains. Les deux personnages principaux du film sont en effet deux êtres hors-normes mis à l'écart : Jennifer est maltraitée, considérée comme diabolique à cause de son don, et son ami le professeur entomologiste McGregor, incarné par le grand Donald Pleasance, vit reclus dans sa maison qu'il n'a pas quittée depuis qu'un accident l'a rendu infirme. Le seul recours de ces deux parias réside dans leur amour des animaux. Amour, bien sûr, de Jennifer pour les insectes, mais également amour du professeur pour Inga, la guenon qui sert d'infirmière, mais surtout d'amie, au vieil homme. Relation qui s'achève dans une scène emplie de fureur animale dont je vous laisser la surprise. Ceux qui l'auront vu ne l'auront sans doute pas oubliée.




La vraie sauvagerie vient donc des humains, brutaux, toujours prompts à affirmer leur domination sur les animaux comme sur leurs congénères. Thème certes classique, voire rebattu, mais qu'Argento traite avec une telle ferveur et un tel brio, qu'on lui pardonne aisément. Autre thème récurrent ; la puissance de la nature sur les humains. Là encore, la révolte du monde animal sur le vice inhérent à l'humanité est au centre du film.



En équilibre précaire sur le fil du rasoir


Phenomena est donc un film riche, qui brasse de nombreuses thématiques certes classiques, mais enrobées d'un onirisme prégnant qui l'élève au rang de fable. Aspect qui est certainement la cause de la désaffection d'une partie des fans de Dario Argento pour ce film. Car Argento se livre ici totalement au genre fantastique, et en favorise l'aspect moral (et non pas moralisateur) qui lui est attaché. Il ne faut donc pas s'offusquer de voir Phenomena osciller constamment entre scènes réalistes et déchaînements lyriques. C'est au contraire la force du métrage, que de balancer d'un bout à l'autre sur une corde suspendue au dessus du gouffre du grotesque, et dans lequel il ne tombe jamais.




Pourquoi ? Simplement parce que Phenomena est un film qui, comme la plupart des Argento, ne refuse jamais d'aller jusqu'au bout de ses idées, de prendre des risques esthétiques (rappelez-vous les flashbacks des Frissons de l'angoisse) comme thématiques (traiter la relation entre une jeune fille, les insectes, un vieillard et un singe sans basculer dans le ridicule ou l'éculé est un tour de force). Parce que, fort d'une ambiance unique et de la perfection technique qui caractérise l'oeuvre de Dario Argento (mention spéciale ici à la photographie), Phenomena peut se permettre d'aller jusqu'au bout de son sujet sans avoir à s'en justifier par des clins d'oeil dédramatisant l'intrigue ou un second degré malvenu.

Parce que Phenomena est un chef d'oeuvre, qui se tient constamment en équilibre précaire sur le fil du rasoir.



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Disponible en DVD zone 2 français



02/01/2008
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