Suspiria

Suspiria, Dario Argento (1977)


Première incursion de Dario Argento dans le fantastique pur, après une poignée de gialli allant du bon (Quatre mouches de velours gris, Le Chat à neuf queues) au génial (L'Oiseau au plumage de cristal, Les Frissons de l'angoisse), Suspiria est avant tout une plongée dans univers bien particulier, fait à la fois de peur et d'attraction.


Conte cruel


Si l'on devait assimiler Suspiria à un genre bien précis, ce serait autant à celui du conte que celui du film fantastique à tendance – largement – horrifique. En effet, tant dans sa structure narrative que dans les notes d'intention qu'il laisse apparentes, le film de Dario Argento ressemble à s'y méprendre à une oeuvre tirée d'un recueil de Perrault ou de Grimm. Par son histoire d'abord, basique et tendant à l'essentiel : une jeune américaine, Suzy Bannion (Jessica ''Phoenix'' Harper, qui met ici à profit sa formation de danseuse) débarque dans une vénérable institution allemande qui dispense les meilleurs cours de danse d'Europe. Elle n'a pas encore franchi le seuil qu'elle est témoin d'un incident étrange : une jeune fille sort du pensionnat sous la pluie battante et s'enfuit après avoir crié à Suzy des mots indistincts. Rapidement, les évènements étranges, voire franchement effrayants, vont s'enchaîner, faisant douter Suzy de la réelle nature des directrices du pensionnat.




Point de départ simpliste pour un conte macabre qui met en scène un enfant en proie à des sorcières. Rien de plus, rien de moins. Comme dans beaucoup de contes traditionnels, l'essentiel de la trame tourne autour du secret et du prix de celui-ci. Prise entre les deux feux d'une direction cherchant à garder ses secrets au chaud et d'une compagne de chambrée un peu trop curieuse, Suzy va devoir lever le voile elle-même pour retrouver la paix. Récit d'initiation, donc, parcouru par la symbolique obligée du passage à l'âge adulte (Suzy doit affronter ses peurs pour grandir), Suspiria se pare d'autres atours propres au conte.




En effet, pour leur seconde collaboration avec Dario Argento, après Les Frissons de l'angoisse, les Goblin délivrent une musique entêtante qui fait office de ritournelle macabre illustrant à merveille les délires visuels d'un réalisateur assisté dans ses visions par l'usage de drogues peu fréquentables. Prolongeant le principe du conte, Claudio Simonetti murmure d'une voix obsédante une comptine traditionnelle sur les sorcières en arrière-plan, donnant à une bande-son déjà anthologique une dimension mythique.



L'Empire des sens


Suspiria se veut en effet un film titillant à chaque instant les sens du spectateur. Par la musique d'abord, volontairement mixée très fort, et rythmant à elle seule des scènes à priori banales, telles que la progression d'un personnage dans un couloir. Récurrent, obsédant, le thème principal renforce de merveilleuse manière l'ambiance trouble du pensionnat, magnifiée par une photographie et des jeux d'éclairage improbables.




Séquence type de Suspiria : une pièce est plongée dans une obscurité verdâtre. La porte fermée sur la droite du lit laisse filtrer une lumière traditionnelle d'ampoule par une vitre à son sommet. Une porte s'ouvre à gauche, inondant la pièce d'un rouge éclatant, puis se referme. Un éclair zèbre la pièce de jaune... Le film est constellé de ce type de traits de génie, donnant souvent l'impression d'assister à un tableau peint en temps réel. L'aventure surnaturelle dans laquelle est engagée Suzy n'aurait à la limite même pas besoin d'être illustrée par des scènes explicites. Il suffit de regarder et d'écouter pour être convaincu dès le départ de la vraie nature du mystère.




Le début du film est à la fois un résumé et un sommaire de ce que sera Suspiria : sous un orage terrible, l'héroïne sort de l'aéroport et appelle un taxi. Après plusieurs tentatives infructueuses, un véhicule s'arrête enfin. Au fur et à mesure du trajet, effectué par un chauffeur peu loquace, la musique des Goblin prend de l'ampleur, rythmée par les chuchotements inquiétants de Simonetti, des percussions singulières et des cris d'animaux brisant brusquement une harmonie quelque peu angoissante. Rien que pour cette scène d'ouverture magistrale, Suspiria mérite le respect.



Si vous regardez bien à gauche de l'image, vous verrez le visage de Dario Argento en train de hurler se refléter dans la vitre de séparation du taxi...




Santa Sangre


Toutefois, Argento se charge à maintes reprises de nous rappeler que nous sommes bien dans l'un de ses films, c'est-à-dire dans un film pervers et violent. La première scène de meurtre est en effet incroyablement impressionnante, grâce à un montage magistral, à un baroque flamboyant et à un sadisme de toute évidence jubilatoire (ou comment faire d'une pierre deux coups - ceux qui ont vu comprendront...). Un morceau de choix au sein de la filmographie de réalisateur, qui n'en manque pourtant pas. La suite s'offre de nombreuses scènes chocs qui font appel aux répulsions basiques de tout le monde (les vers qui tombent du plafond, les chauve-souris...), à une perversité assumée jusqu'au bout (le chien qui se retourne contre son maître ; la longue séquence de poursuite qui s'achève bien mal alors qu'on la croyait finie) ou à la terreur pure (le final, chef d'oeuvre de tension).




Une telle débauche de violence et de sadisme ne fait que renforcer l'impression d'assister à l'oeuvre d'un conteur décomplexé, à une symphonie de couleurs et de sons destinée à fasciner autant qu'à effrayer le spectateur. Expérience sensorielle exceptionnelle, héritier furieux des expérimentations géniales de Mario Bava, conte rouge sang, Suspiria est devenu l'un des mètre-étalons du cinéma fantastique et démontra l'aptitude de Dario Argento à magnifier un genre pourtant nouveau pour lui par la seule puissance de son style et de son audace. Chef d'oeuvre.



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Disponible en DVD zone 2 français



02/01/2008
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