Virus Cannibale
Virus Cannibale (Inferno dei morti-viventi / Zombie Creeping Flesh / Hell of the living dead), de Bruno Mattei (1980)
Dans une entrevue accordée à Mad Movies*, Claudio Fragasso, producteur et co-scénariste du film qui nous intéresse aujourd'hui, déclare, dans un accès de franchise presque touchant, que, "à l'origine, Virus Cannibale était un film épique, une sorte d'Apocalypse Now (...) après avoir montré le scénario aux producteurs, ils nous ont dit que c'était vraiment extraordinaire". Je n'ose pas imaginer la tronche que ceux-ci ont dû tirer en voyant le résultat final. Car si Virus Cannibale est aujourd'hui passé à la postérité, ce n'est sans doute pas pour ses qualités intrinsèques, mais parce qu'il n'est ni plus ni moins qu'un des plus fiers représentants du nanar à l'italienne.
Rapidement, voici l'histoire : une usine nucléaire (du moins à ce qu'il paraît) située en Nouvelle -Guinée laisse s'échapper une fuite ou en tout cas quelque chose qui ramène les morts à la vie. Quatre hommes, professionnels anti-terroristes sont dépêchés sur les lieux pour éclaircir la situation, et voient deux journalistes survivants d'un massacre perpétré par des morts-vivants rejoindre leur groupe. Enfin, c'est ce que j'ai compris, quoi.
Ici, chaque scène contient son lot de rigolade potentielle. Tout est bancal, du jeu des acteurs aux idées insensées du scénariste, en passant par les répliques ou le montage. Voilà pourquoi je propose d'étudier méthodiquement chaque aspect du film afin de démontrer par A + B à quel point Mattei a effectué un tour de force - images à l'appui, bien sûr.
* MM numéro 175, mai 2005
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A) Les acteurs
Peu de trognes chevronnées dans Virus Cannibale ; certains comme Gaby Renom ont ici connu leur seule expérience cinématographique. Le plus habitué aux chaleurs des projecteurs est Franco Garofalo, que l'on aperçoit dans Crime au cimetière étrusque de Sergio Martino, ou le Hercules de Luigi Cozzi, sans parler de L'Autre enfer du même Mattei. Il y tient cependant à chaque fois de (tout) petits rôles. Casting cheap, acteurs à la limite de l'amateurisme, tout concorde à penser que l'on risque de bien rigoler, ce malgré tout le respect qu'on doit aux personnes qui se sont investies ici. La preuve :
On ne dirait pas, mais ce sont ces gars qui doivent sauver le monde...
Ne riez pas, l'heure est grave !
Oh, mon dieu.
Un sous-David Hasseloff mâtiné d'un sous-Steve McQueen, c'est pas ce qu'il y a de plus réussi...
Non, vous ne rêvez pas, cette actrice tente bien d'exprimer la peur panique.
Difficile de rester insensible devant la peine de ce père de ce père de famille en proie à la maladie de son enfant...
Heureusement le moustachu avec sa coupe de cheveux improbable est de tout coeur avec lui...
Il a de toute façon tendance à être un peu toujours de tout coeur avec tout le monde le moustachu (sauf avec son toiletteur)...
Le chef des terroristes...
Que du très lourd chez les acteurs, et encore vous n'avez pas entendu ce qu'ils se racontent.
B) Les dialogues
Virus Cannibale bénéficie en effet de répliques de haute tenue, pas aidées par un doublage français mettant bien en valeur les inepties proférées par les protagonistes ; en voici deux exemples.
1 - Un scientifique, qui vient de voir s'échapper de son usine la cause de la prochaine fin du monde :
"J'espère que Dieu nous pardonnera... parce que toutes ces horreurs... sont inutiles". Dieu a dû apprécier.
2 - Le chef des terroristes-écolos, entendant le commando anti-terroristes arriver (oui, oui, il s'agit bien des quatre types en bleu de travail), s'adresse ainsi aux otages, qui n'y sont pourtant pour rien :
"Bande de salauds ! On n'a pas le droit de tuer les autres ! Et c'est... et c'est pour ça que je vous tuerai !"
C) Les stock-shots !
Comme le confie Claudio Fragasso dans l'interview sus-citée, la présence de stock-shots (rappelons-le : les stock-shots sont des images provenant d'un autre film, ou documentaire, utilisées généralement sans autorisation) dans les films bis de l'époque tenait d'un effet de mode, qui permettait notamment d'étoffer les métrages, d'en renforcer le côté exotique. Ici, l'art du stock-shot atteint son apogée.
En plus d'être inondé d'extraits de documentaires animaliers, passés la plupart du temps au ralenti (!!!), Virus Cannibale se paie le luxe de piller allègrement du film de Barbet Schroeder, La Vallée (1972), dans les scènes incluant la présence des papous et de leurs rites tribaux. Le plus fort dans tout ça étant que Mattei intègre ces extraits au déroulement de l'intrigue, grâce à une utilisation aberramment drôle du champ / contrechamp : l'héroïne se ballade dans le village indigène (champ), un rite tribal a lieu sous ses yeux (contrechamp), puis elle nous fait part de son regard horrifié (champ), etc... Cela pendant une séquence looongue, qui ne vise qu'à écoeurer le spectateur, les stock-shots en question concernant bien sûr des rites funéraires ou les zooms sur les cadavres sont légion... Totalement gratuit, totalement con, et donc totalement fun !
D) Des idées totalement dingues
Là où Virus Cannibale se démarque pourtant de la masse des films bis encombrés de stock-shots et d'acteurs passablement inaptes, c'est dans la marque de fabrique des grandes oeuvres de son auteur (rappelons que Bruno Mattei a également commis Les Rats de Manhattan), à savoir des scènes totalement absurdes, débarquant de manière totalement inopinée sur l'écran. On trouve donc ici la fameuse scène du militaire, qui, alors qu'il est censé explorer une maison abandonnée à la recherche d'éventuels zombies, se met soudain à enfiler un tutu, un chapeau haut-de-forme, et à danser tout en chantant Chantons sous la pluie. Avant bien sûr de se faire attraper par des zombies peu enclins à porter une quelconque attention à une telle débauche de fanfaronnade... Autant dire que cette séquence reste à jamais gravée dans la mémoire de quiconque a la chance (?) d'y assister.
Autre idée farfelue : à un moment du film, pour on ne sait trop quelle raison, la fine équipe décide de s'infiltrer dans une tribu papou. L'héroïne, qui a passé quelques temps dans l'une d'elles, a donc une idée de génie, et attention, CA c'est de l'idée :

Rien de mieux en effet que de se foutre à poil puis de se peinturlurer n'importe comment. Encore une fois, la gratuité est de mise, rien que pour nos yeux !

- Tiens, mon maquillage a changé de couleur ?!
Par respect, je vous passe des tas d'autres trucs de ce genre (les scènes au parlement international constituent également un grand moment), mais sachez que vous avez peu de chances de ne pas être pris par surprise à un moment ou à un autre de ce film...
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Virus Cannibale est donc un véritable OVNI, une expérience qui dépasse parfois l'entendement, un trip sensoriel, où il convient de laisser son cerveau au vestiaires pour profiter pleinement d'un spectacle qui se paye en outre le luxe d'être raisonnablement gore, et qui, malgré quelques longueurs (1h40, c'est trop !), peut se targuer de tenir le spectateur en haleine, non pas par ses qualités cinématographiques, mais par sa jouissive aptitude à surprendre tout le monde. Teintez le tout d'un message pseudo-philanthrope, de toute façon sapé par les "efforts" de Mattei, et vous obtenez une véritable aberration filmique, une chose qui rattrape son absence de qualités par une avalanche de défauts et une once de roublardise bien bis. En somme, un idéal de nanar.
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disponible en dvd zone 2 français